« La scénographie d’exposition est aujourd’hui une forme de médiation spatiale, un moyen de divulgation d’un propos, d’un concept, d’une émotion, à l’interface entre l’émetteur- objet et le récepteur-public.»1. Son vecteur est l’espace tridimensionnel dans lequel elle prend la forme de langages multiples. Les productions des designers-scénographes s’inscrivent dans des scénarios complexes proposant de montrer leur processus de recherche dans et à travers l’espace, et ce au service de l’objet ou de l’œuvre d’art. L’exposition d’art est ainsi une forme de médiation spatiale. Regarder, contempler, se délecter, voilà l’expérience que le visiteur est invité à prendre.
Néanmoins, le rôle du scénographe n’est pas simple à appréhender quant au design de l’espace comme le témoigne le designer, scénographe Gaelle Gabillet: « Il ne s’agit pas d’une forme sténographique où un seul dispositif est répété, ce qui donnerait l’impression que tous les projets sont les mêmes. Chaque thème se voit doté d’une contextualisation différente, d’un nouvel élément de surprise en charge de capter à nouveau l’attention du visiteur. »2. Pour donner sens à cet exemple, nous nous référons aux propos de Jean Davallon3 qui appuient la nécessité du rôle du scénographe dans la création d’une « situation rencontre » unique entre le public et l’œuvre4.
Une rencontre qui accorde une grande place au dialogue entre l’expression artistique et les dispositifs d’installation de l’œuvre, et ce dans le but de créer une forme de passation qui transmet la pensée de l’artiste, le discours d’un commissaire à destination d’un public. Par ailleurs, l’élaboration d’une politique artistique est instaurée par le conservateur de musée et/ou le commissaire; il est ainsi chargé d’inviter le designer ou le scénographe à collaborer. Chaque thèse d’exposition se voit doter d’une contextualisation différente ce qui amène le scénographe à matérialiser une histoire autour des objets ou des œuvres exposés, ainsi à investir le lieu.
Néanmoins, ces pratiques et leurs processus s’inscrivent dans des scénarios d’usages parfois complexes proposant de montrer des procédures de recherches diverses, parfois à l’encontre de l’objet ou de l’œuvre d’art et même au projet de l’exposition comme production d’une œuvre totale.
Questions de recherche
- Dans ce cas, comment le scénographe appréhende-il l’exposition de ces processus?
- De quelle manière la scénographie soutient-elle le propos de l’exposition?
-De quelle manière et à travers quels outils la scénographie use pour donner sens à l’espace et être un médiateur de discours ?
Nous ne répondrons pas ici à toutes ces interrogations, mais nous tenterons de questionner la scénographie dans son rapport au lieu de représentation et sa double frontière avec une culture de médiation de l’espace-exposition mais aussi avec une lecture isolée à contre sens de l’exposition.
A l’évidence, un travail d’analyse est à accomplir en ce sens, afin de clarifier ce dernier point sans rompre bien sûr avec le principal rôle médiateur de la scénographie. Une étude de cas sera alors présentée ; Il s’agit de l’analyse d’images portant sur la mise en œuvre de la« scénographie » de l’exposition d’art internationale du Pavillon Italien, à l’occasion de la 54ème édition de la Biennale de Venise, Juin 2011.
Brefs état de l’art : avis des auteurs
« L’exposition est considérée comme un point de départ de l’œuvre (et non comme un point d’arrivée) et où tout œuvre propose l’exposition d’un lieu »5. Il s’agit donc, pour les artistes, les scénographes et les commissaires de penser l’exposition comme une construction où « l’exposition y trouve la pleine mesure de sa forme projet, qui ne se fixe pas dans un résultat mais est fixée par une coupe opérée au sein de son processus. » 6. Un processus opéré par la collaboration et l’exercice de savoirs faires-à savoir la disposition (display) des œuvres, le montage et la technique d’accrochage, d’installation de lumière…et ce afin de mettre en jeu leur travail selon la perspective d’une configuration de lieu7. Néanmoins, dans ce processus de travail, de nombreuses hypothèses ont révélé des questionnements sur le rôle du scénographe- designer qui pourrait bien assigner des fonctions tout à fait problématiques où la « prépondérance absolue de la valeur d’exposition (de l’œuvre d’art »8 apparait comme tout à fait négligée.
En effet, à travers la juxtaposition, le montage des œuvres, le scénographe peut créer d’une part : une lecture tout à fait indissociable de la conception de la création de l’espace ; dans ce cas le dialogue entre l’œuvre et l’espace est instauré. L’exposition devient en ce sens une œuvre totale dont la valeur est accomplie. De l’autre part, une lecture isolée de l’enveloppe de l’exposition, où l’œuvre d’art interagit hors de la portée du cadre ou du discours produit pour l’exposition.
Ce processus peut donc faire une différence significative à la compréhension du projet, et à la réinterprétation de l’objet ou de l’œuvre et ce en le(s) replaçant dans des systèmes dont ils ne font pas partie.
Etude de cas : Pavillon Italien, 54ème Biennale de Venise, 2011
A l’occasion de la 54ème édition de la Biennale de Venise, l’exposition d’art du Pavillon Italien représentée par le commissaire Antonia Pasqua Recchia, le Curator Vittorio Sgarbi en collaboration avec l’architecte Miralles Benedetta Tagliabue, mettait en œuvre deux principaux thèmes : le premier : “L’état de l’art (italien) à l’occasion du 150e anniversaire de l’unité italienne”. L’autre est un long couloir qui raconte avec des images de presse l’histoire sanglante de la Mafia, intitulé “L’Arte non è Cosa Nostra”. Un projet développé avec plus de 200 artistes exposés. « Une façon différente et inhabituelle de comprendre l’art. Une représentation kaléidoscopique qui ne se limite pas aux choix des critiques et ne suit pas les tendances des galeries, mais se nourrit de la combinaison extraordinaire de l’art, la littérature, la philosophie. »9.
En annonçant cette stratégie inhabituelle d’exposition, nous mettons en œuvre une enquête sur le processus opéré par l’architecte sur le lieu d’exposition et l’impact de ce travail sur, la compréhension du discours du commissaire d’exposition et surtout la réinterprétation de ce lieu en tant que médiateur d’un « non-sens ».
En ayant eu l’occasion d’être sur le lieu d’opération, nous avons détecté des marqueurs défaillants à l’encontre de la fonction de l’architecte « scénographe » au service du lieu mais aussi du public.
A travers les images présentées, et l’analyse du lieu, cette exposition se présente comme étant désaffectée de thématique, touffue de tableaux anciens déformés, accrochés sur des sortes de grilles que l’on voit sur les petites communes désargentées. Des conditions indignes pour ces tableaux et pour des sculpteurs, pourtant de grande valeur esthétique. Une saturation de meubles, de vidéos et d’images peintes provenant des médias. Un Pavillon dont l’espace manipulé par la propagande médiatique qui relève un aspect à la fois politique, religieux, culturel et marchand.



Le spectateur est confus dans ce montage-assemblage-superposition des œuvres de manière presque chaotique. Un parcours qui trace un non-itinéraire où le spectateur se déambule suivant un parcours qui n’a rien d’être orchestré mais portant attirant dans son désordre. L’exploration spatiale temporelle, négligée, n’est strictement pas référée au thème de la Biennale « Illuminations ».
Les critiques et les déceptions à l’encontre du Pavillon Italien sont dès lors justifiés quant à une exposition qui a visé à dessiner une carte, jamais réalisé auparavant, de l’histoire de l’art contemporain Italien mais qui a finit, à notre sens, de créer une sorte de perturbation- attraction-confusion dans le paysage et le parcours habituel d’une scénographie d’un lieu.
La question scénographe-commissaire semble se placer à un niveau qui contraint à une obligation de résultat, qui doit privilégier l’aspect spectaculaire-ou d’un terme plus académique- la valeur esthétique de l’exposition « show » afin d’aller dans le sens du goût du public, considéré comme acteur privilégié d’une scène partagée. À ce stade-là, tous les coups d’échec deviennent-ils permis pour attirer les regards ? Pourtant, c’est bien le cas de ce geste ironique du commissaire et de l’architecte de ce pavillon. Ce nouveau mode de
« curating », moins rigide que la sélection conçue par un critique ou un historien d’art, peut- il générer quelques avantages ou plus d’inconvénients? Ou suffit-il juste d’amener le public dans parcours classique « en profitant de l’occasion pour nouer avec le spectateur un dialogue qu’on pressent singulier, et non forcément l’otage du mainstream. »10
1 KINGA, G. « La scénographie d’exposition, une médiation par l’espace ». La lettre de l’oci.p5. Voir site : http://doc.ocim.fr/LO/LO096/LO.96(1)-pp.04-12.pdf
2 PONCET, J-S. « Comment utiliser la scénographie comme un outil, pour le design et pour le public ? Interview with the designer and scenic artist Gaëlle Gabillet »p.1.
Voir site: http://www.esadse.fr/postdiplome/Azimuts/pdf/32__Entretien%20avec%20le%20designer%20et%20sc%C3%A 9nographe%20Ga%C3%ABlle%20Gabillet.pdf
3 Professeur, Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse. Directeur du Laboratoire Culture et Communication. Membre de l’équipe Formes et modèles culturels. Voir le site : http://centre-norbert- elias.ehess.fr/document.php?id=779
4 DAVALLON, J. 1999. L’exposition à l’œuvre. Paris, éd L’Harmattan. Cité par KINGA, G. « La scénographie d’exposition, une médiation par l’espace ». La lettre de l’oci.p5. Voir site : http://doc.ocim.fr/LO/LO096/LO.96(1)-pp.04-12.pdf
5 KIHM, C cité par ABRANTES, G, BERTILLE BAK, B, DE WEHR, T, DEZOTEUX, B, LIS, S, PUGNAIRE, F. 2010. « EXPOSITION : RESET PROPOSITION DE CHRISTOPHE KIHM ». Paris. Voir site: http://www.alternatif-art.com/index.php/les-expositions/Exposition-Reset-proposition-de-Christophe-Kihm.html
6 Ibdem
7 Ibdem
8 BENJAMIN, W.L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique. 2000. Paris. (Dernière version de 1939, traduction par Maurice de Gandillac, revue par Rainer Rochlitz), à Œuvres III, Paris, Gallimard, collection. “Folio Essais”, 2000, p.284-285.
9 Communiqué de Presse « Padiglione Italia ».Voir site: http://www.labiennale.org/it/arte/esposizione/padiglione- italia/pad-it.html?back=true
10 ARDENNE, P. « Commissariat d’exposition : La fin de l’innocence ». Voir le site: http://paulardenne.wordpress.com/
Gabsi, W. (2011).
Institut Acte, Vol 6. Université Paris Panthéon La Sorbonne. pp. 1-4.