Skander Khlif est photographe. Il n’a pas fait d’études de photographie mais des études d’ingénieur électrotechnique, c’est son métier.
Nous avons tous une photo de Skander Khlif en tête pour les avoir toutes vues ou vécues, du moins celles qui concernent la Tunisie. C’est qu’il a une immense empathie pour les sujets qu’il photographie, dont l’être humain est le sujet principal, que ce soit une ombre projetée au sol, sur mur ou sur un tram. Il saisit des détails ou des portraits chargés de sens et de sensations, tel celui émouvant de son voisin, japonais, âgé, dans l’avion vers Tokyo, regardant par le hublot le mont Fuji, symbole du Japon éternel.
Skander Khlif a commencé la photo depuis son jeune âge. A l’époque de ses études à la faculté, il a acheté un appareil et depuis une dizaine d’années il s’est mis à poster ses clichés sur les réseaux sociaux. Il a aussitôt obtenu un succès d’estime dans le public et ses collègues photographes l’ont immédiatement reconnu. Des oiseaux traversent souvent ses photos. Un jour à Bologne, un jour à Vienne, un jour à Tokyo, un jour à Delhi, un jour à Dakar, un jour à Paris , un jour à Palma, un jour à Florence, un jour à Mahdia, un jour à Kélibia… Il photographie des êtres en mouvement. La présence humaine est en effet essentielle dans ses réalisations pour “ce photojournalisme du quotidien”.
Ses compositions audacieuses et cinématographiques créent un sentiment intense d’immédiateté pour le spectateur. Ses images se présentent comme des instantanés sélectionnés sur un film, avec des roues de vélo, des gens et des pigeons qui définissent une scène pour l’action. Son souci typique du détail nous transmet non seulement les images mais aussi les sons des lieux qu’il photographie. Photographiant à la fois en noir et blanc et en couleurs, l’exploitation de l’ombre et de la lumière et sa fascination pour le mouvement se traduisent par une sélection d’images et de moments qui nous racontent l’histoire d’une ville.
En 1993 son travail l’a amené à faire des documentaires de commande montrant par exemple la lassitude des familles à la fin de la sortie dominicale. Autre documentaire, celui réalisé pour marquer les 10 ans de « la Boîte_ Un lieu d’art contemporain ».
Récemment il a été lauréat de l’ « Italian Street Photography Festival ». Il photographie par séries, des plages, des villes, habitées par des gens qui vaquent à leurs occupations sans prendre attention à sa présence. « Garder une profonde relation avec la Tunisie » est pour lui essentiel. Il est le spectateur d’un temps qui progresse inexorablement et qui le ramène à sa mémoire.
Skander Khlif expose à Archivart du 17 février au 8 mars 2023 : « The return ». Archivart est une plateforme virtuelle en ligne, créée par Wafa Gabsi, qui œuvre à promouvoir les artistes visuels de Tunisie. Archivart s’ancre également dans la réalité de l’art plastique en Tunisie et organise aussi des expositions « physiques ».
« The return » a pour sujet les passagers de la traversée par bateau de Gênes à Tunis pendant la période estivale. La diaspora tunisienne de toute l’Europe, dans toute sa diversité, entreprend un voyage annuel pour rentrer au pays. La solitude, l’absence, le doute, l’appréhension, la nostalgie se lisent dans les attitudes et les visages. Ces voyageurs sont tous différents par leur histoire, leur origine et leur condition mais ils sont tous embarqués sur le même bateau, confinés dans le même espace, exposés au même paysage.
Les rideaux jaune moutarde des hublots viennent contraster avec les embruns sur les vitrages, les flaques d’eau sur les ponts, les reflets et les transparences et aussi avec l’immensité de la mer Méditerranée. Dans la cabine 1312, un jeune enfant, le fils de Skander, tend sa main vers le rideau jaune. Tout est là. C’est un révélateur de toute la traversée, éternellement recommencée.
Edia Lesage, le 19 février 2023.
11 Rue Nelson Mandela, Jinen Eddonia, La Marsa, Tunisia
archivart2020@archivart
Paru sur le site de iddéco le 21 février, 2023