C’est une traversée en bateau qui devient un voyage philosophique. Dans l’exposition The Return à Tunis au sein de la galerie Archivart, le photographe tunisien Skander Khlif saisit les douleurs de l’exil et l’angoisse du retour à travers des clichés pris lors de la traversée en bateau entre Gênes et Tunis. L’exposition représente aussi un moment de réflexion, suspendu dans le temps.
De notre correspondante à Tunis,
« Tu vois les îles, tu vois tout ça, direct déjà, tu touches la mer. » Cette discussion entre le photographe Skander Khlif et l’un des visiteurs de l’exposition The Return illustre l’émotion qui touche un Tunisien de la diaspora lorsqu’il regarde les clichés pris à bord de la Superba, un ferry faisant la navette entre Gênes et Tunis… Skander Negra 34 ans, garde un souvenir impérissable de cette traversée :
« Le petit bar des années 1970 disons, c’est le kitsch tunisien un peu, c’est un peu unique. Dès que tu montes dans le bateau, tu as le métal, le bleu là mal peint. Ce n’est pas l’arrivée, c’est vraiment le trajet lui-même, tu te sens déjà de retour. »
Un moment qui pousse à la réflexion : « Un vol, c’est une heure, mais un trajet de 24h… il n’y a pas grand-chose à faire, on réfléchit à ce qui nous attend, à ce qu’on a laissé derrière. On devrait faire ce genre de trajet plus souvent, pour se remettre en place disons. »
Des moments de vie et de vide reflétant l’absence et le manque comme l’explique Wafa Gabsi commissaire de l’exposition : « Il y a certaines photos qui procurent énormément de joie, de désespoir, de mélancolie, de solitude. Je m’y trouve à plusieurs moments, parce que j’ai vécu ça en étant à l’étranger. »
« Une histoire personnelle » qui « raconte notre histoire »
Ingénieur de formation, Skander Khlif, Tunisien installé en Allemagne, s’est reconverti pendant la pandémie de Covid-19 en photographe professionnel. Des plongeons de jeunes à la plage de Carthage au regard pensif d’un travailleur japonais dans un train passant par le mont Fuji, le photographe tente de saisir des moments furtifs, des émotions, auxquels chacun peut s’identifier.
C’est une histoire personnelle et, en même temps, elle raconte notre histoire à nous : moi, ma femme et mon fils. Et en même temps celle de milliers d’autres, ça parle de diaspora en général, du concept de Ghorba. Cela veut dire l’exil dans son sens absolu et non politique, c’est-à-dire le déchirement d’être un peu loin de quelque chose. Donc, c’est l’histoire d’une traversée, celle qu’on a fait avec ma femme et mon fils cette année, que moi personnellement, je découvre, je fais cette traversée en bateau pour la première fois de ma vie, donc je découvre un décor, une traversée hors du temps. Il y a toute cette attente, cette joie de rentrer, mais en même temps cette nostalgie : on a une petite peur de revoir des gens qu’on n’a peut-être pas vus depuis deux, trois années, les parents qui sont peut-être âgés. Puisque la vague de migrations est de plus en plus intensive, c’est que le sentiment général de Ghorba est de plus en plus intensif. On n’est jamais à l’étranger sans aucun regret.
Le photographe Skander Khlif explique les sentiments derrière son exposition sur l’exil
L’exposition s’est terminée le 8 mars, mais elle sera ensuite mise en ligne sur le site de la galerie.
Publié le : 09/03/2023 – 18:23
Lilia Blaise