« L’art appartient à celui qui le crée mais surtout à celui qui le regarde, car sans ce dernier, l’art, la culture et le patrimoine ne pourraient exister » c’est ainsi que Ferid Sanaa nous parle de sa vision artistique.
Passionné par le multimédia,Ferid Sanaa est un artiste visuel tunisien ayant étudié les arts interactifs, visuels et computationnels à l’université du Québec à Chicoutimi au Canada. Menant une carrière internationale, ses réflexions et recherches artistiques portent sur l’interdisciplinarité de l’art, croisant ainsi les arts numériques, les arts du spectacle, le design visuel et la médiation culturelle.
Bien que les techniques [1], méthodes et approches créatives de Ferid Sanaa demeurent en perpétuel développement et dépendent de l’orientation de sa pratique [2] ainsi que de l’évolution des nouvelles technologies, sa philosophie est toujours constante : « l’art est une sociologie et une science humaine » [3].
Son travail s’articule principalement en deux espaces, celui de la matérialité tangible et des matériaux numériques. Entre réel et virtuel Ferid dessine, projette, fait émerger des mouvements, des scènes, des danses, qui connectent et interfacent, image et sonorité, objet et lumière, corps vivant et algorithme.Un monde palpable et matériel s’associe à un environnement numérique.
Eclectique, façonnant des œuvres-hybrides à dimension spectaculaire, Ferid, crée des opportunités autour des expériences sensorielles.L’artiste questionne l’espace, la faculté d’observation,le détail, l’humain, le relationnel, la sociologie et la psychologie. Il crée ainsi des expériences sociales en puisant dans l’esthétique situationnelle.

A travers son œuvre in situ ‘corps vide‘, il a adapté sa réalisation à une résidence de création artistique avec Archivart [4] pour l’exposition Etreinte [5]. Ferid Sanaa propose aux spectateurs deux approches: l’une est d’observer au loin, l’autre, est celle de vivre intimement l’expérience durant quinze minutes en étant assis en face de « corps vide ».
En effet, dans deux petits espaces-niches contiguës qui donnent sur deux grandes fenêtres, l’artiste installe sur les banquettes, ces deux sculptures féminines. Le premier espace-cabinet a une lumière ambiante bleue avec un mannequin aux jambes croisées,à posture dominante, bras en mouvement vers l’avant et yeux couverts par des lunettes-écrans.
Le deuxième coin est magenta, avec un mannequin, cheveux courts dont la gestuelle des bras est accueillante et communicante. Dans ce qui semble devenir un espace intime et individuel, une table sépare les deux passagers, le temps d’une rencontre, d’un échange avant qu’un voyage intérieur ne commence.
Ces deux corps-objets totalement blancs et dépourvus de traits, Ferid Sanaa les immerge de vie.
Un cosmos d’images en mouvement, de lumière, de constellations et de son (réalisé par Benjemy), anime ces sculptures, les vitalise et les transforme en créatures réelles. Un univers graphique, fractale, calligraphique composé de formes arabesques, avec des couleurs vives et des contrastes chauds froids, fait vibrer dans une harmonie totale, chaque membre de tout ce corps. Les cercles projetés qui soulignent l’anatomie féminine, les multitudes de bouches qui se manifestent sur le rythme des mots,le papillon palpitant, le cœur battant, nous rappellent le collage dadaïste et celui du pop art.
Rythmée et orchestrée par la profondeur du morceau musical [6], cette création numérique en perpétuel jaillissement et scintillement, est tantôt épidermique, tantôt viscérale. Elle met en lumière un volume océanique et volcanique remplissant tout ce corps comme une sève vitale,un flux sanguin, des racines et des viscères.
Le spectateur en s’asseyant partage l’espace avec « corps vide », il vit l’expérience, entre en contact, simule un dialogue,une communication, un échange avec cette sculpture et l’écoute. C’est le temps d’un voyage solitaire, où cette entité féminine virtuelle, nous tient compagnie dans notre solitude, comme si l’humain n’était pas une espèce vivante mais une dimension [7] .
Aucune destination n’est prévue, le voyage c’est l’échange en lui-même, comme l’explique Paul Ricoeur dans son ouvrage philosophique « Soi-même comme un autre ».
Cet autre écran nous tient en éveil, nous transcende, nous hypnotise, nous transporte et stimule notre curiosité. En s’asseyant, on regarde, une âme virtuelle, de l’artificiel et du factice ravivés, une dimension anthropomorphe. C’est l’effet miroir qui se déclenche, on regarde vers nous même.
L’expérience de la première niche architecturale semble être narrative à travers les visuels, l’installation sonore et la scénographie.Elle nous offre donc une histoire à vivre.
La deuxième, nous incite à vivre une expérience contemplative des visuels projetés sur l’œuvre.
Le public ayant participé à l’œuvre, observait curieusement cette scène, cette vitrine qui s’offrait à ses yeux.
Ferid Sanaa puise dans l’expérience immersive qui accompagne le spectateur à vivre son histoire.
Wejdene Jerbi
[1] AVIE, estampe numérique, capteur, Impression 3D, Programmation, etc.
[2] Une pratique qui s’oriente vers le design visuel, la scénographie, la vidéo, la danse, les performances artistiques, le mapping, les installations et les sculptures interactives et la documentation culturelle.[3] Entretien avec l’artiste, septembre 2021.
[5] Etreinte est la deuxième exposition physique lancée par Archivart Gallery, qui a eu lieu du 17 au 26 Septembre 2021 à la Fondation de Tunisie pour le développement. https://archivart.co/3-collection
[6] Installation sonore de Ahmed Benjemy.