Sonia Said, née en 1983, est une artiste peintre franco-tunisienne qui réside et travaille à Paris. L’artiste varie les formats et les supports de ces tableaux tout en explorant un univers expressif, hybride, semi figuratif voire même abstrait. Ces compositions picturales peuplées de formes géométriques, de signes, de symboles sont dynamiques et orchestrées par une grande gestualité. Ses cosmos, variant les couleurs vives et vivaces témoignent d’un univers chaotique mais bien ordonné. Dans lequel, faune et flore ou ce qui peut s’apparenter à des créatures semi-féeriques et semi-réelles, peuvent jaillir continuellement dans un rythme musical inhérent.
À travers les titres de ces tableaux à caractère descriptif, narratif et anecdotique, Said semble inviter le spectateur à deviner et créer le récit de ses compositions. L’artiste a eu la bienveillance, à travers cette interview, de nous faire entrer dans son univers en nous parlant de son œuvre.
Bonjour Sonia pouvez-vous vous présenter ?
Sonia Said, artiste plasticienne, ressortissante de l’institut supérieur des beaux-arts de Tunis, et de La Sorbonne à Paris.
À travers votre peinture, vous explorez divers modes d’expressions qui sont au croisement de plusieurs cultures et s’inspirent des courants artistiques modernes et contemporains. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Je pense que mon univers est une sorte de fusion entre l’art urbain, africain et aborigène. J’essaie de creuser en profondeur dans ma culture hybride ( je suis née en France et j’ai grandi en Tunisie). Ce croisement est l’essence même de mes réflexions et mes recherches dans le domaine de l’art. Cette mixité imposée et puis « cherchée» devient un moteur de création pour moi et m’offre une ouverture sur des horizons, des univers/ des mondes possibles. J’essaie par la suite de capter quelque chose proche de moi, qui peut aussi « souvent » être renvoyé vers l’expressionnisme abstrait.
Un artiste, à travers son parcours créatif, témoigne entre autres de son vécu, de sa société et de son époque : quelles sont les problématiques que vous abordez à travers votre art ?
C’est trouver une sorte de liaison possible entre le plastique, l’émotion et la politique d’appartenance d’apparence !
Je suis à la recherche de soi !
Plusieurs sujets et une grande variation d’expressions formelles caractérisent vos toiles. Quels thèmes explorez-vous ?
L’animal, l’animalier, l’aquatique, le surréalisme, l’expressionnisme et l’abstraction
Tout au long de votre parcours d’artiste peintre, vous avez participé à plusieurs expositions, Biennales et Foires dans le monde, et vous avez eu également plusieurs prix, Quel est le moment le plus marquant dans votre carrière ?
Ma première exposition à Moers(Allemagne). En 2011, quelques mois après la révolution tunisienne, en mois de Mai, j’ai exposé avec d’autres artistes internationaux… plusieurs personnes sont venues et m’ont exprimé leur enchantement de la Tunisie et des femmes tunisiennes. Ils m’ont même demandé d’exprimer ma vision de ce qui s’est passé en public, alors que moi-même, en ce moment-là, je ne comprenais pas ce qui s’était passé. J’étais juste prise par un sentiment confus entre la fierté et l’inquiétude par rapport à mon pays… c’était un moment inopiné.
Votre pratique picturale a évolué au fil du temps, vous avez varier les formats, les supports, et le contenu thématique et esthétique, quels ont été les déclencheurs de cette évolution et de ce changement?
Ma pratique a évolué grâce à l’ouverture sur d’autres cultures, à l’expérimentation de nouvelles techniques/couleurs et même grâce aux supports. Paris et l’Égypte m’ont beaucoup impressionnée, l’art oriental et africain aussi. Grâce au temps, j’ai perçu ce changement.
Votre démarche plastique est éclectique. Ceci dit, elle vous a aidé à forger une expérience personnelle et subjective en termes d’esthétique :Comment pensez-vous vos œuvres ?
Tout d’abord, le support est un facteur très important pour moi. J’ai besoin de grands formats pour m’exprimer. Techniquement, je travaille bien au sol. Il y a une sorte d’énergie, une sorte de puissance gestuelle qui se dégage de ce format et dont j’ai besoin pour m’exprimer. Et puis, je sens que je suis toujours en action, que ce soit en atelier, chez moi, en se baladant dans les rues de Paris ou en voyage. Je porte ma peinture en moi et avec moi tout simplement.
Au cours de votre parcours académique entre différentes institutions d’art à Tunis et à Paris avez-vous effectué des rencontres qui ont inspiré et transformé, d’une manière ou d’une autre, votre pratique ? Quelles sont les rencontres qui ont fait changer votre pratique ?
La rencontre avec Yves winkin[1], lors d’un séminaire à La Sorbonne, Paris 1, et son approche sur l’anthropologie de la communication et sa critique de Erving Goffman, mon sociologue préféré, Djalal-eddine Roumi[2], le critique d’art Greenberg, Hannah Arendt etc.( ceci est sur le plan théorique) . Et puis sur le plan pratique et plastique, je peux citer, le peintre tunisien Gouider Triki, le peintre anglais David Hockney, l’artiste peintre Australienne Gabriella Possum Nungurrayi, Ai Weiwei, sans oublier bien sûr, Miro, Matisse, Chagall, Egon Schiele, Modigliani etc.
L’émotion est un moteur de création pour l’être humain et l’artiste spécialement.Paul Cézanne la considère comme l’essence même de l’art : « une œuvre d’art qui n’a pas commencé dans l’émotion, n’est pas de l’art ». L’émotion dans l’art, ça vous dit quoi ? Que pensez-vous de son rapport avec la géopolitique ?
L’émotion est une problématique maintes fois traitée dans plusieurs domaines, plusieurs travaux de recherches. C’est une notion qui séduit depuis longtemps et continue aujourd’hui à attirer l’attention. On a d’ailleurs du mal à cerner et comprendre l’émergence d’une émotion, son influence dans notre vie, dans notre perception de et sur l’environnement, la société. Notre champ de vision est un peu complexe, puisqu’on cherche toujours à cerner cette notion en relation avec l’art. L’émotion est généralement définie par son caractère fugace dans le temps. Un processus mental complexe qui explique cette attention quand on est face à une toile de peinture, qui nous plait, on se contente souvent de dire « que c’est beau ! ». On ressent une émotion, quelque chose en soi. C’est ce qu’on appelle une « émotion esthétique ». Donc, on constate une logique qui se veut poétique, fluide, intérieure. Et puis, elle prend un aspect politique au moment où elle est sortie en public! « la politique c’est le fait d’apparaître en public » comme l’affirme Hannah Arendt et « je suis transformé parce que je vois ce qui m’apparaît » d’après Daniel Dayan.
Votre démarche plastique est essentiellement subjective, intime et personnelle. ‘La recherche de soi’, est traduite dans vos tableaux par une spontanéité et une gestualité picturale. Tout ceci met en jeu une certaine forme de sincérité. Qu’évoque pour vous le mot sincérité dans l’art ?
Ça évoque le mot « Vrai ». J’ai appris ça très très jeune, grâce à mon professeur Aziza Mrabet. Quand j’étais étudiante, à chaque fois, dans son cours : techniques d’expressions plastiques, elle disait : « l’art ça rigole pas, il faut être VRAI.. » et depuis ça m’as marqué et avec le temps, j’ai bien saisi le sens ! Et je l’applique !
[1] Yves winkin est professeur des universités en sciences de l’information et de la communication. Spécialiste de la “nouvelle communication”, de l’« anthropologie de la communication » et du sociologue Erving Goffman. De nationalité belge il a néanmoins enseigné dans plusieurs universités en France.
[2] Poète mystique persan qui a vécu au XIIIeme siècle.