Imaginaire fabuleux et esthétique du divers dans l’œuvre de Sonia Ben Slimane

« Tel père, telle fille » : ce proverbe, loin de faire l’éloge de l’imitation, permet d’évoquer le point d’attache ou le point commun entre Sonia Ben Slimane qui est diplômée de l’École d’art de Copenhague Københavns Kunstskole, Copenhague (Danemark) et son père Khaled Ben Slimane dont la notoriété en tant que céramiste traverse les continents. Au-delà de ce rapprochement qui s’impose quand il s’agit d’un article qui est consacré à l’artiste Sonia Ben Slimane, il convient d’observer son expérience singulière marquée par la pluridisciplinarité qui définit en quelque sorte l’art contemporain.

Le talent de l’artiste tient en partie à la filiation – c’est-à-dire à l’hérédité si l’on croit à la présence d’un gène de l’art, et au génie qui reste inexplicable malgré les grandes théories de l’art. Disposant d’un long palmarès, Sonia Ben Slimane a su tracer soigneusement son chemin comme on trace un cours d’eau en aquarelle ou des contours saillants qui forment une sculpture représentant un animal fabuleux. En effet, cet artiste a à son actif plus d’une vingtaine d’expositions dont la plus récente a eu lieu parmi d’autres expositions à la Galerie d’ARCHIVART. Des prix, elle en a eu en remportant la première place lors d’un concours photos, organisé par l’Institut Français de Tunisie en 2018.

Par ailleurs, comment situer et appréhender l’expérience artistique de Sonia Ben Slimane qui est à la fois peintre, sculpteuse et céramiste, autrement dit trois fois artiste ? Peintre et sculpteuse ne suscite pas autant d’étonnement que céramiste comme si l’art céramique représentait un art mineur si bien que, dans l’imaginaire populaire et collectif, la céramique renvoie à l’argile et à la terre – fût-ce une confusion avec la poterie ! – sans connaître en fait que « céramique » est un mot d’origine grecque : keramos signifiant « argile ». Il s’agit de la même matière, à savoir la terre qui est l’un des quatre éléments de l’ancienne physique aristotélicienne, outre l’eau, l’air et le feu. Ces quatre matières n’en font qu’une pour la réalisation d’une œuvre en céramique qui diffère de la poterie. Quel élément permet le mieux de parler de toute l’expérience créatrice et artistique de Sonia Ben Slimane ? Cela relève de « la folle du logis » selon l’expression de Malebranche. L’artiste m’a confié un petit texte où elle tente d’expliquer sa démarche : « Ma démarche se forme autour de l’univers de l’imaginaire et du jeu ». Ainsi le ludique teinté de merveilleux est tout à fait remarquable notamment dans une sculpture baptisée Sculpture rouge fluo (2020). Dans le texte qu’elle m’a envoyé, elle fait d’ailleurs allusion à cette esthétique et à l’imaginaire qui traverse cette œuvre ainsi que d’autres en l’occurrence Rédemption (2022) réalisée sur papier noir : « Il ne faut chercher ni logique ni sens commun dans mon travail, on peut retrouver un poisson pouvant voler, un citron illuminant le ciel ou un renard chevauchant un taureau ». Cet univers fait penser à celui des contes comme l’a mentionné déjà Sonia Ben Slimane dans son texte : « Je m’inspire beaucoup de poèmes et de contes pour mes œuvres. Les histoires scandinaves me fascinent énormément en l’occurrence ». Peut-être cet imaginaire fécond est travaillé par les fictions de la littérature de jeunesse où l’on peut penser à l’univers de Lewiss Carroll où l’humour et le merveilleux font bon ménage, ou l’univers de J. M. Barrie dont le personnage Peter Pan incarne cet esprit du merveilleux enchanteur.

Aussi bien dans ses peintures que dans ses sculptures et ses œuvres en céramique, la technique demeure la même si bien que des points de convergences sont aussi observés. Sonia Ben Slimane est adepte de l’art figuratif pour représenter des animaux (taureau, renard, oiseau…) ; ce choix thématique n’est pas anodin comme l’a évoqué dans le texte qui rend compte de sa démarche artistique, sans oublier bien évidement les fruits, notamment le citron, et les aliments en l’occurrence l’œuf dans l’œuvre céramique Plateaux (2019), où l’on peut voir des éléments culinaires : œuf cuit, un citron et une cuillère.

Encore faudrait-il faire remarquer que le citron figure dans au moins quatre œuvres. Ce qui est remarquable est que tout cela a du volume et que la représentation est réaliste. Il s’agit en fait de ce clin d’œil au réel dont parlait l’artiste dans son texte. Un autre élément aussi important mériterait d’être mentionné à savoir les couleurs qui caractérisent certaines œuvres. Les nuances du jaune avec toute la symbolique de cette couleur en sont révélatrices. Force est constater que l’artiste ne se limite pas à une seule technique : elle s’inspire à la fois des impressionnistes et des figuratifs. Dans un tableau récent Du bout de ma cibiche (toile jaune avec citron et taureau), les touches impressionnistes sont clairement identifiables. L’oiseau s’appuyant sur un citron est peint d’une manière réaliste alors que le taureau est représenté par des reliefs et par petites touches. Les mêmes techniques sont employées que ce soit en peinture qu’en sculpture et céramique définissent cette esthétique parfois déroutante, mais condense tant d’émotions puisqu’elle renvoie à un univers bien particulier, celui du rêve qui interpelle l’enfance et celui du merveilleux qui met en scène des animaux mythologisés.

La création de Sonia Ben Slimane est à vrai dire une expérience des limites qui mobilise des moyens divers, des techniques variées et un imaginaire qui puise de cette littérature de jeunesse. Elle m’a confié d’ailleurs ceci : « Je préfère ouvrir une porte sur la pensée, que d’y tracer un chemin défini. Je laisse libre cours à l’interprétation de chacun. Mon but est de repousser les limites de mon imaginaire et si possible de celui du spectateur ».

Haytham JARBOUI

Chercheur en littérature française moderne à l’Université de Nantes

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