Imaginaires intenses du rouge dans la photographie

Dans les photographies de Marianne Catzaras le ciel rougeoie ardemment, il semble se coucher sur un paysage de désolation ou de mélancolie. Quelles forces incarnent le carmin de l’œuvre « Sur la route » ou encore le terre de Sienne de « Naufrage » ? Les titres nous plongent dans l’ambiance d’un voyage interrompu par une épreuve. La scène est baignée d’une telle stupeur que l’intensité du rouge a décapé la ligne qui marque l’horizon. Le rouge est ici ardeur, n’a t-il pas toujours été ainsi lorsque fulgure dans la mémoire les souffrances de la chair, une réminiscence de sang. Une histoire en rappelle une autre, suivons celle des œuvres de John Heartfield où la véhémence du rouge télescope d’autres affects.

Rougéité in absentia dans les photomontages de John Heartfield

Au début des années 1930, le dadaïste allemand John Heartfield a apposé sur les murs de Berlin des œuvres inédites. Le rouge y figurait comme indice de sa lutte socialiste et de ses idées politiques. À cette époque, la tension entre le parti nazi et les communistes battait son plein. Le rouge de l’artiste se voulait à la fois partisan, prémonitoire et alertant. Il signifiait son opposition à Hitler et ses acolytes et pointait du doigt les agissements du parti ouvrier allemand national-socialiste, dirigé par le führer, prémices de la deuxième guerre mondiale.

Dans les affiches et les photomontages de Heartfield, les plages de couleur rouge sont imprimées et associées à des fragments photographiques. Elles sont aussi évoquées par des images percutantes, et mettent en exergue des éléments textuels et des satires explicites et impétueuses.

Le sang est un détail parlant dans l’affiche noir et blanc Blut und Eisen « Sang et fer », créée en 1934, et dans le photomontage Göring der Henker des Dritten Reichs « Göring le bourreau du Troisième Reich », qui illustre la couverture du journal Arbeiter Illustrierte Zeitung (AIZ), en 1933. Les éclaboussures de sang semblent vouloir choquer et avertir. Le message est on ne peut plus direct. Le rouge, in absentia, réactive dans l’esprit du regardeur les images de dévastation, l’horreur de la guerre, la face cachée du nazisme et les manigances meurtrières d’Hitler. Catalyseur du discours anti-propagandiste de l’artiste, la couleur cherche à provoquer dans ses photomontages la saisissante pulsion de mort le « toucher de Thanatos », dirait l’historien de l’art George Didi Hubermann. Toute couleur se prête aussi à signifier la valeur emblématique d’une idée, d’une émotion ou d’un pouvoir. Si les historiens s’accordent sur l’influence du mouvement d’art constructiviste sur la pratique de Heartfield, l’emploi du rouge sang in praesentia dans les couvertures de livres renvoie à sa symbolique politique, c’est le rouge du socialisme, le rouge de la révolution bolchévique de 1917.

Hanen Hattab

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