La multitude dans ses états plastiques

L’œuvre de Walid Zouari sillonne les continents, emportant dans les plis de son expressivité plastique la possibilité d’un échange sur l’être ensemble. Si la peinture est un langage universel, le vocabulaire de l’artiste parle aux affects de chacun et de tous. Sa production donne ses lettres de noblesse à ce vers de Charles Baudelaire : « Il n’est pas donné à chacun de prendre un bain de multitude : jouir de la foule est un art ». 

Du début des années 1990 jusqu’à nos jours, les œuvres de Walid Zouari ont en effet exploré la figure de la tête dans le genre du portrait de groupe, mais aussi dans la représentation d’individus qui soulignent par leur solitude individuelle et collective le thème de prédilection de l’artiste à savoir la foule. La sensibilité graphique de l’artiste lui a ouvert la voie de plusieurs aventures créatives à la lisière de l’art et du design. C’est la consécration d’un parcours académique et professionnel multidisciplinaire. Diplômé en communication visuelle à l’EAD Tunis, l’artiste a étoffé son expérience par de nombreuses résidences artistiques nationales et internationales. La carrière de Walid Zouari est riche d’exposition, de rencontres et de biennale de renoms. Ainsi voit-on aussi son vocabulaire multicéphale embrasser divers médiums et projets dans la musique, le théâtre et la scénographie. Le monde surpeuplé de Walid Zouari a mis un supplément de bruit dans les couvertures de CD de Dhafer Youssef, de Skylark Production ainsi que Wolfgang Puschnig. 

Stylo feutre ou pinceau trempé de noir charbon à la main, l’artiste appose des faces aux contours qui marient le style de la ligne claire et le comique. Ce que nous voyons : Des têtes éparpillées, juxtaposées ou encore superposées sur des fonds et des paysages insondables. Est-ce pour illustrer les formes que peuvent prendre les humains lorsqu’ils font multitudes ? Le choix du terme multitude met en exergue ici la singularité qui caractérise chaque silhouette représentée. Les œuvres en acrylique et techniques mixtes, aux gammes colorées renouvelées non sans audace, engagent différentes spectatures. De loin, elles offrent le spectacle optique de la circularité. Les faces s’arrangent en vagues de motifs, tantôt psychédéliques, tantôt écumeuses. Comme une ambiance de foule en communion ou d’essaims de groupes qui se dispersent. De près, un spectre émotionnel touchant se constitue en passant d’un visage à un autre. À quelques pas des tableaux et des murales, le regardeur fait face à l’espace et la psychologie de la masse. La multitude dans ses formes de meutes, de hordes, de rassemblements joyeux, de publics enflammés, invoque dans l’art de Walid Zouari la dichotomie du construire et du déconstruire ensemble, par, respectivement, l’enthousiasme d’une kyrielle de bouches béantes ou la colère de faces révolutionnaires en furie. Cela ne veut dire point que l’artiste braque un miroir en face d’un phénomène social. Car ce qui jaillit des silhouettes et des taches transcende le plaisir de la sensation figurative de la foule pour activer l’épreuve de l’intersubjectivité sociale, soit, l’essence même de l’art nous explique le philosophe Jean-Marie Guyau : « L’émotion artistique est donc essentiellement sociale ; elle a pour résultat d’agrandir la vie individuelle en la faisant se confondre avec une vie plus large et universelle. Le but le plus haut de l’art est de produire une émotion esthétique d’un caractère social. »

Avec le trait furtif et courageux d’un tagueur, Walid Zouari reconduit récemment ses faces euphorisantes dans de nouvelles aventures artistiques qui interrogent l’esthétique de la trace. Sur les surfaces obtenues par les techniques du pochoir et ses habituelles couches opalescentes, les grattages et les effets de peinture en spray nous transportent vers le monde juvénile et subversif du graffiti. Ne s’agit-il pas donc d’une autre façon d’exprimer l’informe dans le condensé de référents de personnages. Enfin, les compositions des peintures et des bustes ont gagné en luminance et en chromaticité en arborant une structure polyédrique assouplie.

Hanen Hattab

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