Le quotidien d’un journalier par l’œil photographique d’Amine Boussoffara

Amine BOUSSOFFARA est un photographe plasticien né en 1974 à Mahdia, Tunisie. Il n’est pas étonnant qu’il ait trouvé son style en photographie comme il a pénétré cet univers dès son enfance à travers les clubs photo de la maison des jeunes de Mahdia et les laboratoires de photos où il a réalisé ses premiers tirages. Cela a donné, également, à Boussoffara un aperçu sur ce monde artistique. Et en 2008, il a commencé son activité de photographe professionnel.

L’artiste renouvelle sa vision envers la photographie. En effet, les clichés de Boussoffara sont loin d’être une simple empreinte du réel. Il ressuscite le quotidien tunisien comme support de création ; il compose avec des éléments habituels qui lui parlent. Boussoffara est plus dans l’expérimentation plastique de la photographie.

Ses compositions ne prétendent à aucune perception réaliste ; elles permettent de jeter un coup de sonde dans le coutumier des journaliers tunisiens et leur appartenance spatiale. La construction de l’œuvre de Boussoffara est basée sur un photomontage ; il s’agit d’un patchwork photographique. On y trouve des fragments photographiques de personnes, objets du quotidien à l’instar de la monnaie, brouette, piquet, bicyclette ou encore les moyens du transport quotidien. Ce sont des éléments qui reflètent un aperçu d’un quotidien morose tout en représentant une classe populaire marginalisée économiquement et socialement à l’instar des citadines essentiellement les ouvriers. Conformément à cette catégorie sociale écartée, les espaces et les paysages choisis par l’artiste sont également une réflexion d’un quotidien misérable ; on y trouve des bâtiments abandonnés, des murs pelés où les briques sont nettement apparentes. La brique crue est omniprésente dans les œuvres de Boussoffara ; cet élément de construction qui est constitué de terre argileuse crue et qui est simplement moulée puis séchée au soleil : un matériau dur et résistant au même degré du journalier tunisien. Bref, face à la cruauté de la vie quotidienne, la misère du travail, le chagrin pour la subsistance quotidienne afin de vivre et gagner son pain, l’ouvrier avec toutes ces circonstances est un vrai combattant qui résiste à une telle réalité. En outre, le travail de Boussoffara est à l’honneur de l’Homme qui est un être combattant et qui lutte contre la souffrance de la vie quotidienne.

Si l’on prête attention au mode d’agencement des clichés de l’artiste, on révèle l’assiduité d’un cercle dominant et rayonnant autour de la tête de la personne photographiée et qui toujours en arrière plan. Ce cercle vacille entre opacité et translucidité. Cette contribution plastique met l’accent sur l’auréole des peintures de Trecento ; ce terme qui désigne le XIVème siècle italien ; s’y déroule le mouvement appelé Pré-Renaissance. En effet, les actes iconoclastes médiévaux donnent à voir des personnages couronnés renvoyant au Christ, la Vierge et les Saints. Étant donné « Maestà » 1311 de Duccio di Buoninsegna (Sienne, musée de l’œuvre de la Cathédrale). Cette peinture représente la Madone sur un trône avec l’enfant, des anges et des saints qui sont tous représentés par une lueur jaune, dorée placée autour de leurs têtes qui est destinée à la vénération de la collectivité.

En tant attribut figuratif, l’auréole a été utilisée dans l’art sacré pour désigner la divinité d’un personnage, son pouvoir, sa royauté et par la suite la sainteté dans le contexte chrétien. Également aux égyptiens, les grecs et les romains ont utilisé un halo lumineux pour souligner le pouvoir de leurs dieux et régnants. En outre, le mot « auréole » signifie de couleur or la forme circulaire dérive du fait que le cercle est symbole de perfection et représente donc bien la sainteté. Du coup, les auréoles existantes dans l’œuvre de Boussoffara identifient-elles à leurs tours l’image du journalier régnant, cet Homme de grand pouvoir et l’éminente dignité terrestre ? Par ailleurs, l’artiste dévoile la dimension poïétique du « pain sacré » pour cette tranche populaire qui doit y être malgré la misère du quotidien.

Dissemblables sont les scènes présentées, Boussoffara nous raconte, à travers ses photographies, des histoires qui se nourrissent du quotidien courant ou individuel dont le but est de mettre en vue ces individus dans leurs quotidiens différents spatio-temporels à l’instar de leurs vécus et habitats. Il s’agit notamment d’interroger l’échelle évocatrice esthétiquement et poétiquement que l’image photographique peut engendrer loin d’attribuer à cette image sa dimension réaliste.

D’habitude la photographie imprime sa marque dans le quotidien de l’individu, cependant, dans l’œuvre de Boussoffara, l’image-photographique imprime sa marque par le quotidien lui-même des individus, au point de rendre la photographie s’étendre au-delà de la documentation. Des mises en scènes utopiques qui laissent le spectateur dans un champ plastique étrange qui est illustré de la vie réelle. Il s’agit d’un photographe ambulant. En outre, en 2015, l’article d’Ilsen About sur les photographes ambulants des années 1880-1930 invite à considérer ces derniers comme « un groupe social ayant contribué à une acculturation au portrait photographique, c’est-à-dire ayant joué un rôle majeur dans la diffusion et le maillage du territoire par la photographie à cette période ». En guise de conclusion, chez Boussoffara aussi « la photographie est l’opératrice du passage de l’image pensée comme fait de conscience à l’image pensée comme fait social » comme l’affirme Michel Poivert.

Arij Messaoudi

Ilsen About, « Les photographes ambulants », Techniques & Culture, no 64, 2015, p. 240-243
URL : http://journals.openedition.org/tc/7611Michel Poivert, « La photographie est-elle une « image » ? », Études photographiques, N 34 Printemps 2016, Journal Open Edition.
URL : http://journals.openedition.org/etudesphotographiques/3594

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