Il est des artistes dont l’œuvre interpelle et par leur esthétique et leur engagement en faveur des valeurs dans toutes leurs déclinaisons (le beau, le féminisme, la liberté…). Telle est le cas de l’artiste Safa Attyaoui dont quelques tableaux qui ont fait l’objet d’une exposition artistique baptisée Lignes révélatrices à laquelle un article de presse a été consacré, et qui sont désormais publiés sur son Instagram méritent qu’on s’y attarde. De toute évidence, l’œuvre récente ne rompt pas foncièrement ou presque avec l’esthétique des tableaux antérieurs.
Force est de constater que Safa Attyaoui a sa technique-fétiche dans la mesure où celle-ci semble caractériser toute sa pratique artistique du moins ses tableaux les plus récents, et constitue une véritable emprunte, voire « une marque de fabrique » qui la distingue des autres artistes. Cette technique consiste à réaliser des dessins à stylo-bille qui est principalement un outil dévolu à l’écriture. Cette esthétique fait penser incontournablement à des artistes tels que Jean Dubuffet en France, Andy Warhol aux États-Unis, Sigmar Polke en Allemagne, Alighiero Boetti en Italie, etc. Dessin et écriture, bien qu’ils relèvent de signes différents, sont presque du même ordre puisqu’ils permettent de représenter les choses et le monde. La correspondance entre les deux est le moins que l’on puisse dire évidente si l’on croit en cette présence de la poésie dans la peinture et inversement. D’ailleurs, face à un tableau, la première expression que l’on prononce sur un ton d’admiration : « Oh que c’est poétique ! ». Le poète Horace, il y a vingt-et-un siècles, utilise l’expression « la poésie ressemble à la peinture ». Safa Attyaoui prend à son compte cette formule pour confirmer cette coexistence de l’art et de la poésie, notamment à travers le tableau A une Passante qui serait la représentation du poème A une passante de Charles Baudelaire.
Les dessins de l’artiste sont une représentation qui participe de la construction des imaginaires, qu’ils soient collectifs ou universels. Pour emprunter l’expression de Jean-Jacques Wunenburger, l’imaginaire serait un « langage symbolique » et un « mode de représentation ». C’est dans cette perspective que se réalise la lecture de quelques tableaux. À première vue, l’œil d’un amateur d’art que l’on peut qualifier sans gêne de « profane », et tout à fait orienté vers chacun des tableaux – notamment les plus récents – tente d’atteindre la ligne de fuite en vue d’appréhender l’invisible, mais qui fut momentanément saisi par l’ensemble des détails, des formes, des courbes et des nuances chromatiques du bleu : bleu du ciel, bleu de la mer, comme dans le tableau We only serve fish (Nous servons uniquement du poisson) qui a été réalisé en 2022. Cette scène renvoie peut-être à un restaurant – lieu de socialisation par excellence – servant uniquement du poisson. Il s’agit de représentation de chats, de tables avec des nappes et une femme assise et tenant son enfant entre ses mains, bien que les formes et les courbes, enfin la représentation, déroutent puisque refusant d’imiter le réel et se donnant pour mission de créer une autre réalité, mais qui serait, selon l’artiste, une réalité plus belle, et de partager une expérience singulière où se mêlent toutes sortes d’émotions et de sensations. L’artiste Safa Attyaoui offre cette possibilité du partage du sensible en publiant ses œuvres sur Instagram.
Par ailleurs, force est de constater que l’esthétique de Safa puise toute inspiration des œuvres des grands maîtres de la peinture, en l’occurrence Pablo Picasso. À vrai dire, une forme atténuée et moins explicite du cubisme semble caractériser cette esthétique, comme c’est le cas du tableau intitulé Apolitical thoughts (pensées apolitiques), où l’artiste adopte la même technique de réalisation pour s’inscrire dans la même esthétique.
Haytham JARBOUI
Chercheur en littérature française moderne à l’Université de Nantes