Une lecture attentive du titre de l’exposition relève des interrogations sur sa signification et du mystère par la symbolique qu’elle évoque !
Tlèbys1 est un acte de dévoilement, de révélation d’une mémoire et de ses souvenirs enfouis. « C’est là, dans cet espace imaginaire et secret que j’avance et je m’approche afin de voir, voir plus proche dans le noir de ma mémoire, moi, l’enfant qui le regardais de loin, avec une inquiétude, une amertume face à ses souvenirs. Je veux les attraper, les saisir et les faire revivre en moi…je vois encore cet enfant, il habite dans ma mémoire, il est mon regard », nous confie Souheil Nachi.
L’enfance est ce moment privilégié et précieux dans lequel l’artiste nous embarque dans cette exposition. Ses œuvres nous parlent de l’habilité de l’enfant – qu’il est-à relater ses souvenirs dans le rêve comme dans l’éveil, dans l’action comme dans l’ennui et dans le bonheur comme dans la mélancolie.
Chez cet artiste, les expériences de l’enfance trouvent leur place dans sa peinture et dans sa vision du monde. L’impensable et l’indicible peuvent désormais être représentés et discutés. Tout comme les simples moments anodins des jours tranquilles…
Porté par un désir ardent de créer, et par l’amour du dessin, Souheil se livre à une performance gestuelle, de ratures, de hachures, de rondeurs, d’écritures et d’éclaboussements de couleurs. Il semble insuffler sa rage au papier mais aussi son amour.
Dans son approche artistique, la surcharge, la représentation répétitive -de formes et de personnages – sont fortement appliquées. Elles lui permettent d’« élaborer psychiquement » les effets de certaines expériences douloureuses de l’enfance. Le processus de
répétition du même» prend désormais la forme d’un « mécanisme de dégagement» visant à éliminer progressivement la tension et les surcharges émotionnelles2.
A travers ce projet, Souhail Nachi tente de dépasser sa personne pour voir au-delà, de contempler le monde de son enfance qui l’entoure. Il prend conscience de sa fragilité et se replonge volontairement avec plaisir et, sans aucune crainte dans son monde intérieur. Il embrasse à plein cœur ses abysses; tel est le message de cette exposition intitulée Tlèbys.
La toile reste pour lui un lieu d’exploration de l’imaginaire au cœur de la matière qu’il investit de tout son corps. Il réalise des toiles libres de grand format où s’estompe l’opposition entre abstraction et figuration, signe et écriture, ligne et couleur. Des toiles dominées par l’exploration de l’espace pictural, inspirées par les souvenirs de l’enfance et imprégnées de son expérience dans l’étendue de l’imaginaire.
L’acte de peindre apparait chez Souheil Nachi comme un moment d’existence où cohabitent à la fois le gestuel et le construit, l’émotionnel et l’intellectuel. Par cette volonté de briser les cadres, de dépasser les limites de la feuille et d’ouvrir des espaces intimes de dialogue, l’artiste nous dévoile des œuvres faites avec son cœur, son corps, ses mains, sa tête, avec la totalité de son être. Une œuvre multiforme d’une grande acuité où s’affirment une indépendance d’esprit et une liberté souveraine traçant les voies du dépassement.
1 Tlèbys en dialecte tunisien se définit comme (Les strates du mur)
2 Houari Maïdi, (2021). « Trauma et symbolisation chez Edvard Munch. Art et psychanalyse »., Université de Bourgogne Franche-Comté.
En ligne : https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0003448721002869
Wafa Gabsi Takal