Dans ma pratique artistique, j’ai repéré le thème de l’enfance. C’est un ensemble de tableaux réalisés en « technique mixte ». On y voit une petite fille, souvent de dos et parfois dans d’autres postures, mais en tout cas peu identifiable. L’autre constante de cette série est un fond bariolé sur lequel apparaissent des motifs dessinés ou peints, peut-être aussi « reportés » comme des décalcomanies, ces motifs pouvant en outre être plus ou moins « réalistes » par rapport à la convention mimétique de la reproduction du visible. J’ai dit « un fond » mais, en réalité, c’est un enchevêtrement dans lequel les transparences laissent plus ou moins apparaître tel ou tel détail au premier plan : on pourrait dire que tout est « sens dessus dessous », plutôt que d’évoquer un « palimpseste ». S’il s’agit bien d’évoquer l’enfance, il y a forcément un processus d’exploration au travers des différentes strates de ma mémoire, faisant resurgir tantôt des expressions enfantines, tantôt des images, tantôt des illustrations telles qu’on en trouve dans certaines encyclopédies, ou encore d’autres aspects de l’environnement dans lequel j’ai vécu.
C’est en somme un peu de notre histoire commune que nous retrouvons dans cette série de tableaux évoquant les premiers âges de nos existences. C’est ainsi que je m’inspire certainement de mes propres souvenirs, et c’est pourquoi on peut dire que, dans certains cas, l’histoire intime d’un artiste peut tendre à l’universel.
Il est donc possible, pour compléter cette approche, de faire allusion à des pratiques artistiques reconnues. D’abord, je pense à Paul Klee pour qui « l’art ne reproduit pas le visible [mais] rend visible », et on sait d’ailleurs que nombre de mes dessins ont été vus comme des dessins d’enfant, des dessins maladroits, par conséquent, de même que certaines œuvres de Pablo Picasso qui l’avait assumé en affirmant que, enfant, il dessinait « comme Raphaël », et qu’il lui avait fallu « toute une vie pour apprendre à dessiner comme un enfant ». Les surréalistes ont aussi reconnu la valeur des dessins d’enfants, de même que « l’art brut » qui a été valorisé grâce à Jean Dubuffet. Mais certains aspects de mes tableaux m’ont aussi évoqué les collages de Max Ernst. mon travail d’anamnèse et d’association opère cependant à plusieurs niveaux : en retrouvant des gestes enfouis, ayant été remplacés par ceux qui résultent de l’apprentissage virtuose et normatif de l’académie, et en ramenant dans cette pratique les motifs diversement associés qui ont pu constituer son environnement, parmi lesquels on remarquera l’abondance des poissons et des oiseaux, parfois réunis dans des chimères de ces deux espèces.
-Sabra Ben Fradj